Préface
Un album de voyageur et de curieux
Le Musée national des arts asiatiques – Guimet conserve un de ces albums comme il devait s’en trouver dans la bibliothèque d’un homme de bien, voyageur et curieux à la fin du xixe siècle.
Les Eaux-Douces d’Asie, la tour de Léandre, Beykoz, la fontaine d’Ahmet III, le parc de Kağıthane, Büyükdere, Dolmabahçe, Sainte-Sophie, Tophane, le palais de Topkapı, Üsküdar et Eyüp... Autant de noms qui ramènent la mémoire d’une ville ancienne. Constantinople n’est plus. Cette topographie sentimentale est enclose dans cet album de toile à dos de cuir qui contient quelques-uns des noms les plus habituels de la photographie dans l’Empire ottoman : les Levantins Pascal Sébah (1823-1886) et Vassilaki Kargopoulo (1826-1886). Ce dernier ouvre son studio en 1850, Grand’Rue de Péra à Constantinople, et est ainsi un des pionniers de la photographie dans l’Empire ottoman. Il devient photographe du sultan en 1879 avant de mourir brutalement en 1886.
Paul Sébah réussit à fonder une maison de photographie qui fera florès en Orient et s’implantera avec succès dans l’Égypte des khédives.
L’album se concentre cependant sur la Turquie. Si Constantinople y tient la place centrale, Brousse, la première capitale ottomane y figure aussi. Edirne, en Turquie d’Europe, est absente de l’ensemble.
Constantinople présente deux aspects clairement distincts : celui d’un immense patrimoine qui nous fait passer des splendeurs de l’empire byzantin, ici résumées à Sainte-Sophie et à quelques vues des murailles, à ceux de la glorieuse capitale ottomane bientôt convertie en une vibrante métropole moderne non dénuée d’agrément.
Les vues exaltent tout à la fois l’incomparable panorama d’une métropole entre deux continents et les lieux incontournables d’un tourisme déjà codifié. Avec Grenade, Constantinople est sans doute l’un des premiers lieux du tourisme photographique au xixe siècle ; les deux villes combinent harmonieusement la splendeur d’un site à la gloire de monuments « faits de mains d’hommes », au poids de l’histoire enfin. Constantinople domine cependant sur la première par une note de modernité à laquelle ne prétend pas la ville andalouse. Le Panorama de la Corne d’Or depuis la Tour de Galata de Sébah qui ouvre l’album l’identifie immédiatement comme un assemblage représentatif à destination d’un touriste aisé. Il met en scène l’activité grouillante d’une capitale où la modernité – le pont de Galata, les bateaux à vapeur sur le Bosphore – côtoie le plus vénérable patrimoine au gré des chandelles des minarets. À cette vue urbaine célèbre répond le panorama de Kargopoulo qui illustre le visage le plus agreste de Constantinople, rappelant les lieux de villégiature élégants de la ville. Ce même balancement du regard est notable dans les photos consacrées à Brousse, capitale sise en Anatolie, riche de monuments de premier ordre et également célèbre pour ses échappées sur un site spectaculaire, à flanc de montagne.
Rien ne manque enfin à l’album pour renfermer le parfait souvenir d’un voyage en Orient, pas même la devanture d’une des célèbres pâtisseries de Constantinople ou encore le pittoresque des types physiques et l’image des métiers de rue les plus divers.
Je remercie tout particulièrement les équipes du Musée national des arts asiatiques – Guimet, ceux du musée du Louvre, nos partenaires et les personnels de la Réunion des musées nationaux – Grand Palais pour cette publication en ligne.
Sophie Makariou
Présidente du Musée national des arts asiatiques – Guimet
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2016