Biographies
Pascal Sébah (Istanbul, 1823 – Istanbul, 15 juin 1886)
En 1859, Sébah se voit décerner une médaille de la Société française de photographie à Paris pour l’ensemble de son travail.
Le 27 février 1863, la première exposition nationale de l’Empire ottoman (Sergi-i Umumî-i Osmanî) ouvre ses portes à Sultanahmet, sur la place de l’hippodrome (Atmeydanı). La section artistique de l’exposition présente deux panoramas d’Istanbul réalisés par Sébah et composés chacun de dix photographies. En 1867, un autre prix lui est remis à l’exposition de Paris.
L’année 1873 marque un tournant dans le parcours de Sébah. Il fait la connaissance du peintre Osman Hamdi Bey qui va l’introduire dans les milieux artistiques respectables d’Istanbul. Cette rencontre sera déterminante pour la suite de sa carrière. Les deux artistes vont entrer dans une sorte de relation symbiotique et Osman Hamdi Bey utilisera désormais des photographies dans la plupart de ses œuvres picturales.
Les lettres de Laroche, publiées dans divers numéros de la revue française Le Moniteur de la photographie, donnent les détails sur la préparation du catalogue de l’exposition de Vienne. Ernest Lacan, rédacteur en chef de la revue, introduit l’article en ces termes :
« Nous savions déjà qu’il existait à Constantinople d’excellents photographes ; les beaux spécimens envoyés aux diverses expositions par MM. Sébah et M. Abdullah auraient suffi pour nous fixer à cet égard. Mais nous ne pouvions nous imaginer qu’on fut, si loin de Paris, en avance sur certains points et que les méthodes nouvelles, à peine essayées encore en France, fussent là-bas en pleine application... »
Sébah participe à des expositions internationales en présentant des images d’Istanbul et du Caire. Ayant envoyé plusieurs photographies à Philadelphie en 1876, il est récompensé par une médaille en 1877. Dans une exposition à Paris en 1878, il remporte une médaille d’argent pour ses photographies égyptiennes (Fig. 3).
À l’apogée de son succès, Pascal Sébah s’épuise à devoir gérer son studio principal à Istanbul, poursuivre son travail photographique dans celui du Caire et essayer de répondre à toutes les demandes, ce qui l’oblige à faire souvent la navette entre les deux villes. En 1883, âgé de 60 ans, il est paralysé à la suite d’un accident vasculaire cérébral. Ne pouvant plus travailler et ses enfants étant trop jeunes, c’est son frère Cosmi (?-1896), également photographe – il avait installé un studio en 1880, au no 346 de la Grand’Rue de Péra, où il travaille jusqu’en 1883 –, qui reprend le studio de Pascal pour assurer la subsistance de sa famille. Le 25 juin 1886, Pascal Sébah meurt après être resté alité durant trois ans.
Si Cosmi Sébah assure l’intérim en poursuivant la tradition familiale, les véritables héritiers du studio sont les très jeunes enfants de Pascal. En 1888, Joannes (Jean) Sébah (1872-1947), avec l’aide de son oncle Cosmi, entre en partenariat avec le photographe Policarpe Joaillier (1848-1904). Leur association prend le nom de Sébah & Joaillier et connaît un âge d’or. Le studio d’Istanbul sera bien géré et celui du Caire connaîtra un nouvel essor.
Les catalogues, constitués à partir d’images sélectionnées une à une, portent notamment sur les thèmes suivants :
- à Istanbul (Constantinople) : images du Palais, les objets du Trésor, la Corne d’Or, les îles d’Istanbul, le Bosphore, mosquées, églises, mausolées, cimetières, musées, statues, remparts, places de marché, marchands ;
- à Bursa (Brousse) : paysages urbains, mosquées, mausolées, ponts, rues ;
- à Edirne (Andrinople) : paysages, ponts, mosquées, vues de villages ;
- à Izmir (Smyrne) : le port, la côte.
Figurent également au catalogue diverses villes ou régions proches ou lointaines comme Pergame, Éphèse, Afyon, Konya, Iznik (Nicée), Bagdad, la Syrie et l’Égypte.
En 1889, l’empereur allemand Guillaume II visite Istanbul en compagnie de sa femme, la reine Augusta Victoria. La société Sébah & Joaillier, qui réalise de belles photos du couple impérial, se verra décerner le titre de « photographe de la Cour royale de Prusse ». Ce titre que Pascal Sébah n’avait pu obtenir de son vivant devient le nouveau symbole du studio que lui-même avait créé.
En 1900, pour payer leurs dettes, les frères Abdullah vendent pour 1 200 lires ottomanes leur studio, avec tout son équipement, à leur plus grand concurrent Sébah & Joaillier. Au dos de leurs cartes de visite, Sébah & Joaillier ajoutent désormais la mention : « successeurs d’Abdullah Frères ».
Guillaume (Gustaf Adolf) Berggren (1835-1920)
Guillaume Berggren (Fig. 4) est né le 20 mars 1835 à Stockholm. En 1850, il quitte le domicile familial et commence à travailler comme apprenti chez un maître charpentier. Doué, il fait des progrès rapides.
En 1855, désireux de voyager en Europe, il quitte Stockholm et embarque pour Hambourg. De là, il gagne Berlin où il devient apprenti dans un studio de photographe. Berggren travaille dans d’autres villes européennes avant d’arriver à Odessa, sur la côte de la mer Noire. Berggren a dans l’idée de faire le tour du monde. Il embarque, en 1866, à bord d’un navire qui, parti de la mer Noire, doit traverser le Bosphore, la mer de Marmara, les Dardanelles et la mer Méditerranée jusqu’à Marseille. Cependant, faisant escale dans le port d’Istanbul, il profite de cette occasion pour visiter la ville, et, fasciné par cette mystérieuse porte de l’Orient, il décide immédiatement de s’y installer.
Ce voyage l’avait amené dans la ville où il allait vivre jusqu’à la fin de ses jours. En 1870, il épouse une Grecque du nom d’Amélie. Il travaille alors pour une compagnie maritime, puis crée, au cours de cette décennie, des studios de photographie en différents endroits. Au début des années 1880, il ouvre un studio qu’il gardera longtemps au deuxième étage d’un immeuble, au no 414 de la Grand’Rue de Péra, en face de l’église Sainte-Marie, dans le haut de la rue Dervishe (aujourd’hui, Piremeci).
Lors de la construction de la voie ferrée destinée à rejoindre Bagdad, dans les années 1880, Berggren voyage en Anatolie en compagnie de Goltz Pacha et prend des photos dans les nombreuses villes desservies par le chemin de fer. Ses images de Konya, Bursa, Akşehir, Bilecik, Sakarya, Manisa et Izmir sont de magnifiques mises en application des techniques photographiques, mais aussi des documents précieux sur cette époque. Le livre de Goltz Pacha intitulé Anatolische Ausflüge, Reisebilder, publié en 1896 à Berlin, contient quelques travaux par Fettel mais présente surtout des photographies prises par Berggren à Ankara, Kütahya, Izmir, Eskihisar, Eskişehir et sur le fleuve Sakarya.
En 1883, Berggren est rejoint par Hilda Ullin, la fille de sa sœur Charlotta, qui vient de Suède pour l’aider dans son studio.
Par sa maîtrise technique, Berggren a réalisé de très belles vues d’Istanbul et de ses rues, du Bosphore et de ses rives (Fig. 5), de gens (Fig. 6) et de paysages. Il a été l’un des grands maîtres des photographes ottomans.
Quand en 1885 le roi de Suède Oscar II (1829-1907) et sa famille viennent visiter Istanbul, Berggren les prend en photo sur la terrasse de l’ambassade. Il offrira au roi l’album des photos ainsi réalisées, ce qui lui vaudra de recevoir une médaille et d’avoir droit au titre de « photographe royal de Suède ». Guillaume Berggren sera également décoré par le sultan ottoman.
Quand il meurt, à l’âge de 85 ans, sa nièce Hilda Ullin l’enterre en plaçant dans son cercueil tout son équipement photographique. Sa tombe se trouve dans le carré suédois du cimetière de Ferikoy, à Istanbul.
Basile Kargopoulo (1826-1886)
Fig. 7 : Carte de visite photographique de Basile Kargopoulo, 1860.
Imprimé en or sur noir par la société Wachtl à Vienne, 6,7 × 11 cm.
© Collection Engin Özendes.
Le verso de la carte porte comme décor les médailles remportées par Basile Kargopoulo lors de concours ainsi que les décorations impériales qui lui ont été décernées, sous le monogramme (tuğra) du sultan Abdülhamid II (r. 1876-1909).
Basile (Vasili) Kargopoulo, photographe d’origine grecque, ouvre un studio à Péra en 1850, au no 4 de la place Tünel (Fig. 7). En partenariat avec E. Foscolo, il en gère un second à Edirne, qui est à l’époque une base militaire animée. Après avoir travaillé simultanément dans les deux villes, Kargopoulo décide, en 1881, de se consacrer entièrement au studio d’Edirne ; deux ans plus tard, il ouvre une succursale près du lycée de Galatasaray (1883).
Kargopoulo produit notamment des panoramas d’Istanbul et il constitue une riche documentation photographique sur la ville. Par ailleurs, il a dans son studio une importante garde-robe pour les jeunes oisifs qui souhaitent se déguiser pour se faire prendre en photo.Ses photographies du palais et des demeures du sultan ont également beaucoup de succès. Il prend de nombreuses photographies du palais et de la ville d’Edirne et, en dehors de ses scènes du Bosphore (Fig. 8), il photographie des pêcheurs, des épiciers, des vendeurs de petits pains ou de boissons et de nombreux marchands ambulants. Tirées sur du papier de format 6 × 9 cm, ces photographies sont ensuite collées sur des cartes du studio et vendues comme images typiques de la population turque. Kargopoulo devra sa renommée à ces images qui contribuent beaucoup à faire connaître l’histoire et le folklore d’Istanbul.
Après 1879, nommé photographe du Palais, à la place des frères Abdullah, il obtient du sultan Abdülhamid le titre de « photographe de Sa Majesté Impériale » (Fig. 9). Il occupe ces fonctions pendant longtemps. Il fut aussi le photographe particulier du sultan Murad V, à qui il donnera des cours de photographie dans sa jeunesse, jusqu’à ce qu’il accède au pouvoir pour un court règne de trois mois. Quand le sultan Abdülhamid II monte sur le trône, Kargopoulo perd son titre pendant un temps pour avoir gardé sur le mur de son studio la photo du sultan Murad V. Il est également responsable du studio de photographie créé en 1884 sur les instructions d’Abdülhamid II dans le bâtiment du ministère de la Police. C’est dans ce studio qu’il prendra plus tard les photos des prisonniers.
Fig. 8 : Basile Kargopoulo, Fontaine Göksu, vers 1870.
© Collection Engin Özendes.
Cette élégante fontaine qui se dresse sur les rives du Bosphore, dans un parc public entre les fleuves Göksu et Küçüksu, a été construite en 1796 par le sultan Selim III (r. 1789-1807) en l’honneur de sa mère, Valide Sultan Mihrişah. Ce quartier, qui fait face à la forteresse de Roumélie sur la rive opposée du Bosphore, était connu des Européens sous le nom d’Eaux douces de l’Asie.
À la mort de Basile (Vasili) Kargopoulo, le poste de photographe du Palais sera proposé à son fils Constantin, qui ne fera pas véritablement carrière. Le studio de la place Tünel fermera ses portes en 1895.
Engin Özendes
Historienne de la photographie
Commissaire d’expositions
© Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2016